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L’ancre des bénéfices

À la même époque l’année dernière, j’ai publié une newsletter intitulée La neige en été, qui explorait la relation entre les cours des actions et les fondamentaux des entreprises. En résumé, j’y soutenais que, bien que la théorie reliant prix et fondamentaux soit à la fois solide et éprouvée, la réalité observée sur les marchés s’en écarte souvent – parfois de façon marquée et prolongée.

Cela soulevait deux questions. La première : pourquoi les cours des actions s’écartent-ils des bénéfices ? Et la seconde : pourquoi ces cours finissent-ils généralement par revenir à la trajectoire des bénéfices ?

Plusieurs éléments méritent d’être pris en compte. La liquidité joue un rôle important, dont l’absence est particulièrement visible lors des krachs boursiers. Les taux d’actualisation entrent également en jeu, qu’il s’agisse de l’évolution des taux d’intérêt sous-jacents ou de la prime de risque que le marché attribue aux actions. Des changements rapides de l’un ou de l’autre peuvent provoquer des chocs de valorisation, même si les trajectoires bénéficiaires restent inchangées. Enfin, il faut compter avec l’imprévisibilité de la psychologie de marché. Les investisseurs ont souvent tendance à paniquer au premier signe de danger, poussant les cours des actions bien en deçà de ce que les bénéfices justifieraient, tout en se ruant avec enthousiasme sur les thèmes gagnants, sans tenir compte des risques que cela implique.

On pourrait penser que le capital patient permettrait de contrebalancer cette nervosité, mais ce n’est tout simplement pas le cas : il ne pèse pas suffisamment. Le profil de l’« investisseur marginal »1 a évolué de deux façons – premièrement, avec l’essor de la gestion passive et du trading de détail, les investisseurs actifs de long terme sont structurellement moins nombreux. Deuxièmement, même au sein de la gestion active, les horizons d’investissement se sont raccourcis, avec une domination croissante des stratégies à court terme fondées sur le momentum.

Figure 1 : Répartition estimée du volume des actions américaines par type de participant, 2024

Source : Goldman Sachs. Volume d’actions estimé à partir des déclarations 13F. Hypothèse de parité entre LMV et SMV sur le marché actions américain (1:1), avec répartition régionale des sociétés de trading propriétaire basée sur des déclarations publiques. Sont exclus les ETF ainsi que les positions sur futures/options cotés. Volume moyen journalier (ADV) estimé à partir des données de CBOE Global Markets, FINRA, McLogan et Prime Services. Données arrêtées au 30 juin 2024.

Des conséquences prévisibles

À mesure que la part du marché cherchant véritablement à valoriser les qualités fondamentales à long terme d’une entreprise s’est réduite, nous avons assisté à une augmentation de la fréquence des déconnexions entre les cours des actions et les bénéfices. Par ailleurs, les effets conjugués du momentum boursier et de la gestion indicielle ont poussé les investisseurs à surestimer ou sous-estimer systématiquement les perspectives des entreprises, sans réel incitatif à adopter une position contraire à celle du marché à court terme. Enfin, les gérants discrétionnaires long-only font partie des acteurs les plus tournés vers le long terme. La baisse de leur influence a laissé place à une forme d’horizonisme de plus en plus court, qui déforme les comportements en érigeant le prochain trimestre ou la fin d’année en objectifs finaux, comme si l’on tentait de gagner un marathon en enchaînant des sprints de 100 mètres.

Soyons clairs : les sociétés « quality growth » ne sont pas immunisées contre ces effets, et nous avons observé une hausse de la volatilité de leurs titres également. Toutefois, prises dans leur ensemble, les actions « quality growth » offrent un degré de stabilité important lorsqu’elles sont regroupées dans un fonds qui veille rigoureusement à l’équilibre entre risques réels liés à l’activité et exposition boursière. Comme nous allons le voir, elles bénéficient d’une stabilité des bénéfices nettement supérieure à celle du marché dans son ensemble.

Une vision à court terme ?

Si les erreurs de valorisation sont fréquentes, les fondamentaux reprennent toujours leurs droits à long terme – comme nous l’avons appris à plusieurs reprises, parfois à notre avantage, parfois à notre détriment. La raison pour laquelle ce phénomène se produit réside dans la mécanique même de valorisation de ces entreprises. Le pilier de toute valorisation, le modèle d’actualisation des flux de trésorerie, suppose que la valeur d’un titre correspond à la valeur actuelle de ses flux de trésorerie futurs. Le ratio cours/bénéfice (PER) établit un lien similaire entre bénéfices et prix de l’action, via un multiple de « juste valeur ». Par extension, un fonds actions est une collection de titres et, à quelques rares exceptions près,2 tend à refléter fidèlement la valeur de ses sous-jacents.

Sur le long terme, la corrélation entre la croissance des bénéfices et les cours des actions est frappante – un sujet que nous avons déjà abordé pour l’ensemble du marché. Nous illustrons à nouveau cette dynamique ci-dessous à travers le fonds Seilern World Growth, démontrant ainsi un principe fondamental de notre philosophie : à long terme, ce sont les bénéfices qui déterminent les cours des actions, et ce sont les cours des actions qui déterminent la valeur liquidative des fonds.

Tableau 1 : Croissance des BPA vs croissance de la VL – Seilern World Growth (SWG)

Source : FactSet, Seilern Investment Management au 31 août 2025. BPA SWG en USD, y compris la trésorerie, comparé à la part SWG USD U I, valeur liquidative nette après frais.

Certains critiques feront valoir – à juste titre – qu’une moyenne masque souvent de nombreuses disparités. De fortes baisses de certaines actions sont en effet dissimulées dans la moyenne (tout comme les hausses spectaculaires, bien que les investisseurs s’en préoccupent généralement moins). Et c’est précisément cela qu’il faut retenir : le taux de croissance composé de la valeur liquidative (VL) suit celui des bénéfices, en dépit de tous les éléments qui évoluent en arrière-plan – y compris chacune des corrections boursières survenues pendant la période étudiée. En réalité, cela reflète bien notre style de gestion : depuis 2009, la VL a suivi de près la trajectoire des bénéfices, à l’exception notable de la période 2019-2021.

Figure 2 : BPA en USD de Seilern World Growth vs. valeur liquidative – (2009 au 31 août 2025)

Source : FactSet, Seilern Investment Management au 31 août 2025. BPA de SWG en USD, y compris la trésorerie, comparé à la part SWG USD U I, valeur liquidative nette de frais.

Ces bénéfices ont progressé à un rythme supérieur à celui de l’indice sur la période, mais surtout, ils l’ont fait de manière beaucoup plus régulière, avec une seule baisse enregistrée « en devise locale » en 2020, de -11,7 %, contre une moyenne de -12,9 % pour le S&P 500 sur les trois années où les bénéfices de l’indice ont reculé sur la même période (2009 à 2025).

Figure 3 : BPA du fonds Seilern World Growth hors trésorerie (2009 – 31 août 2025)

Source : FactSet, Seilern Investment Management au 31 août 2025. BPA de SWG en devise locale, hors trésorerie.

Une grande partie de cette performance s’explique par le fait que notre approche « quality growth » privilégie les entreprises qui respectent notre cadre d’analyse des Dix règles d’or. Par définition, ce cadre exclut les sociétés non rentables, ainsi qu’un grand nombre d’entreprises à forte croissance mais encore immatures. Il tend également à écarter les valeurs très cycliques, certaines d’entre elles sont actuellement plébiscitées par le marché, mais évoluent dans des secteurs qui, par nature, sont sujets au phénomène de retour à la moyenne.

Le problème ne réside pas uniquement dans le fait que le marché affiche une croissance des bénéfices moins régulière. Il tient aussi à l’écart sensible entre le rythme de progression des bénéfices des entreprises sous-jacentes et celui des cours de leurs actions, un écart qui, au minimum, devrait susciter quelques interrogations.

Tableau 2 : Croissance du BPA du S&P 500 vs croissance de la VL – S&P 500

Source : S&P Global, Bloomberg au 31 août 2025 (S&P 500 TR USD).

La cause de cet écart fait l’objet de nombreux débats, mais il est évident que l’enthousiasme des investisseurs a gonflé certaines poches du marché. L’intelligence artificielle (IA) est le dernier thème en date, profitant non seulement aux facilitateurs technologiques (bâtisseurs d’infrastructure), mais aussi au secteur de l’énergie, renouvelable ou non, qui bénéficie actuellement de profits exceptionnels.

L’IA, et plus encore l’anticipation des bénéfices qu’elle génèrera, ont constitué la principale force motrice derrière le taux de croissance composé de 19,5 % enregistré par le marché au cours des trois dernières années.3 Nous ne sommes bien entendu pas les premiers à souligner que le marché pourrait bien refléter des attentes exagérées… venant s’ajouter à une base bénéficiaire elle-même déjà gonflée.

Figure 4 : BPA du S&P 500 vs. VL du S&P 500 – (2009 – 31 août 2025)

Source : S&P Global, Bloomberg au 31 août 2025 (S&P 500 TR USD).

Ancrés dans les bénéfices

Notre rôle, en tant que gérants d’une stratégie « quality growth », n’est pas de courir après des indices gonflés par des entreprises qui ne répondent pas à nos critères, mais de refléter la croissance bénéficiaire à long terme d’entreprises de grande qualité. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître aujourd’hui, une stratégie « quality growth » présente moins de risques que le marché, précisément parce qu’elle repose sur une sélection plus rigoureuse.

Cela s’explique par le fait qu’un fonds « quality growth » dispose d’un cadre d’évaluation constant – nous avons les Dix règles d’or – alors qu’un indice se contente, pour l’essentiel, de critères d’inclusion fondés sur la liquidité.4 Comme nous l’avons également évoqué, un indice ne dispose d’aucun mécanisme de construction de portefeuille permettant de corriger les excès de valorisation.

Il est également essentiel de rappeler que le navire qu’est la valeur liquidative (VL) ne peut pas dériver indéfiniment loin de l’ancre que représentent les bénéfices. Un fonds ne peut durablement croître plus vite que les bénéfices de ses sociétés sous-jacentes, tout comme une entreprise ne peut durablement croître plus vite que son marché.

Lorsque la VL croît plus vite que les bénéfices, cela signifie que les rendements sont simplement anticipés, empruntés au futur. À moins qu’il n’existe des éléments tangibles permettant de justifier une accélération forte et durable des bénéfices, le prix finira par revenir à ses fondamentaux. Selon notre expérience, ce sont généralement les cours des actions qui corrigent brusquement pour retrouver la trajectoire des bénéfices, et non l’inverse.


1Il ne s’agit pas ici de l’investisseur moyen, mais de celui qui est le plus disposé à acheter ou vendre au prix de marché en vigueur. Les prix évoluent pour équilibrer l’offre et la demande, de sorte que celui qui effectue la dernière transaction détermine effectivement le prix. Ses préférences, ses contraintes et ses anticipations influencent donc directement la valorisation des actions.

2Au Royaume-Uni, les sociétés d’investissement se négocient souvent avec une décote et plus rarement avec une prime, par rapport à leur valeur liquidative (VL) sous-jacente.

3Au 31 août 2025

4L’indice MSCI World applique des critères d’inclusion qui privilégient la capitalisation boursière, la liquidité et le flottant. Le S&P 500 fait à peine mieux : il exige des bénéfices publiés positifs sur le dernier trimestre, ainsi qu’un cumul positif sur les quatre derniers trimestres.


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